Vulnérabilité : Aspects anthropologiques et philosophiques

Vulnérabilité : aspects anthropologiques et philosophiques

Introduction

●  Etymologie, définition

Vulnérable  : qui vient du latin “Vulnus” qui peut être blessé

Définition par Nathalie Maillard :

“Étymologiquement, on dit de quelque chose qu’il est vulnérable s’il est susceptible d’être blessé, de subir un tort ou d’être atteint dans son intégrité. Cette définition contient déjà deux éléments : la référence à l’état d’un être ou d’une vie lorsqu’il est intact ou non altéré, et la possibilité de cette altération. Cette altération peut être liée à des causes internes ou externes de différentes natures : biologique, intersubjective, sociale ou environnementale. Si la vulnérabilité n’est pas réservée à l’homme – elle peut concerner les animaux ou les entités naturelles –, elle ne s’applique pas aux objets inanimés : on dira d’un cendrier qu’il est fragile, mais pas vulnérable.” (Nathalie Maillard).

●  Dimensions de la vulnérabilité

Dans la littérature, on distingue différentes dimensions de la vulnérabilité. La vulnérabilité ontologique désigne la fragilité biologique de l’homme et sa finitude. La vulnérabilité en ce sens est un risque potentiel propre à tout être vivant. Certaines situations majorent ce risque. Nous ne sommes pas tous égaux devant ce risque. Certains sont davantage exposés que d’autres au risque de développer une maladie, d’avoir un accident de travail, de développer un syndrome d’épuisement professionnelle, de vivre dans la précarité. La vulnérabilité sociale fait référence aux menaces qui pèsent à la fois sur la vie et la capacité d’agir des individus du fait de certains facteurs économiques et sociaux, comme la guerre, la pauvreté ou l’exclusion. Elle renvoie aux inégalités sociales individuelles et systématiques entre les individus. C’est une dimension profondément politique de la vulnérabilité. D’une manière plus générale enfin, certains parlent d’une vulnérabilité anthropologique. Elle désigne la fragilité constitutive de la vie humaine ; non seulement la fragilité du corps, mais la fragilité de l’équilibre psychique et émotionnel aussi bien que de l’identité personnelle et de l’estime de soi ou la fragilité des capacités. 

“Ainsi, au-delà de l’intégrité corporelle ou psychique, l’idée de vulnérabilité anthropologique doit aussi être référée à un ensemble de capacités qui sont constitutives de l’existence de la personne ou qui définissent une conception minimale du bien humain. On pensera ici aux capacités fondamentales énumérées par Ricœur : pouvoir dire, pouvoir agir, pouvoir de rassembler sa vie dans un récit intelligible et de se saisir soi-même comme sujet d’imputation, ou à la liste des capabilités énumérées par Nussbaum, qui définissent les fonctions fondamentales de la vie humaine” (Maillard, 2020).

●      Formes et degrés de la vulnérabilité

“Nous sommes tous, eu égard à la fragilité anthropologique, potentiellement vulnérables. Certains d’entre nous vivent cependant des situations de vulnérabilité actuelles ou effectives : les personnes malades ou les très jeunes enfants, par exemple. Ce qui caractérise les situations de vulnérabilité actuelle est un affaiblissement, voire une confiscation, du pouvoir de décider et d’agir, et une dépendance accrue à l’égard des autres. Les situations de vulnérabilité actuelle peuvent avoir des degrés différents, en fonction du type de capacités rendues indisponibles, de la gravité de l’atteinte, et du niveau de dépendance aux autres qui en résulte. Devenir temporairement vulnérable suite à un choc émotionnel n’est pas la même chose qu’être durablement fragilisé par de lourds handicaps physiques et mentaux. “ (Maillard, 2020).

Par ailleurs, les individus actuellement vulnérabilisés sont réputés vulnérables dans un sens second : ils ont une susceptibilité accrue, du fait de leur état, à subir des torts additionnels (maltraitance, exploitation, etc.). Les situations de dépendance peuvent aussi être l’occasion d’abus de pouvoirs. Cette vulnérabilité seconde, c’est ce qu’on appelle justement, pour la distinguer de la première, la susceptibilité. Une vulnérabilité acquise peut augmenter l’exposition à d’autres vulnérabilités potentielles.

 Ce qui fait de nous des êtres vulnérables c’est :

1.  D’une part que nous sommes des êtres corporels et temporels, c’est-à-dire, soumis aux accidents et biologiquement programmé pour mourir. Par exemple : nos capacités peuvent être confisquées par la maladie, ce qui va actuellement à l’encontre de l’individu libéral qui est toujours en pleine capacité de ses moyens et en pleine forme.

2.  Il y a aussi le fait que nous soyons des êtres relationnels: notre vie peut être mise en danger par l’autre, mais elle ne peut que se maintenir avec l’autre nous avons un rapport de dépendance aux autres et la présence d’autrui qui relève, selon les éthiques du Care, du secours et du soutien.

3.  Enfin, il y a un troisième point : L’homme est un être dont l’existence est conditionnée, il dépend de ce qui est hors de lui, le relationnel certes, mais aussi son environnement qui est un facteur de vulnérabilité. Par exemple, il y a des facteurs indépendants de nous qui font qu’une vie est conditionnée par l’extérieur, notamment les besoins biologiques.

Partie 1 – Autour de la vulnérabilité

1. La vulnérabilité en philosophie

En philosophie, la vulnérabilité apparaît à l’aune des années 80 notamment dans l’idée d’une bioéthique internationale (en particulier européenne), dans la littérature sur l’éthique du Care, et bien sûr en sociologie à travers les travaux sur les notions de précarité et d’exclusion. Il y a une certaine homogénéité dans les travaux, ils visent tous à interroger la conception de l’homme ou de la morale politique.

Il y a dans la définition du concept de vulnérabilité beaucoup d’ambiguïté. Il est à la fois associé (en médecine) au concept de fragilité notamment lié aux personnes âgées, mais ne peut s’y réduire, car la fragilité se définit par une instabilité pouvant conduire à la destruction. Vulnérable, lui signifie « qui peut être blessé » il est donc plus large que le concept de fragilité et s’adresse notamment à ce qui vit.

Le concept de vulnérabilité renvoie tout d’abord à une condition négative, à une condition à surmonter ou à supprimer. A l’inverse, la vulnérabilité peut aussi apparaître comme une condition existentielle et dans ce cas-là, elle est un concept ontologique qu’il s’agit d’accueillir.

Bien que la période du Moyen-Âge ait apporté un couplage autonomie-vulnérabilité, rendant compatible ces deux concepts (notamment par la création de l’homme par Dieu qui l’a doté d’un libre arbitre, et qui donc, l’a rendu libre de se tromper), il y a depuis l’époque moderne, ce qu’on pourrait appeler, une anthropologie capacitaire, qui promeut le développement de l’autonomie, et cela à partir de Kant qui pose l’homme comme autonome en définissant l’autonomie comme « capacité à exercer seul l’exercice de sa vie, c’est ne pas dépendre d’autrui ».

Réussir sa vie, c’est faire preuve d‘autonomie. L’individu vulnérable, c’est celui qui est dépendant. Le vulnérable est donc l’individualité négative. On trouve alors un lien entre autonomie et vulnérabilité : les individualités négatives, c’est-à-dire, celles qui ne font pas preuve d’autonomie, celles qui sont vulnérables sont exclues de l’égalité morale, il y a donc une asymétrie sociale entre les individus autonomes, et ceux, dépendant.

L’autonomie devient un projet de société (notamment à travers l’éducation, la santé et le travail) et une responsabilité individuelle. À cet effet, les politiques publiques développent des programmes d’empowerment ou d’État social actif pour accompagner l’individu dans les moments ou situations fragiles.

Cette position d’une anthropologie capacitaire est mise à mal par :

●  Les deux grandes guerres.

●  Par des facteurs écologiques, économiques et culturels. Notamment par les sociétés libérales qui créent de nouvelles conditions de vulnérabilité.

Ainsi, parallèlement à cette valorisation de l’individualisme rationnel fondé sur l’autonomie, des études montrent comment ces mêmes sociétés créent de l’exclusion, de l’inégalité et de la vulnérabilité avec les personnes non autonomes. Le concept de vulnérabilité marque ainsi l’aboutissement d’une réflexion sur les diverses manières de nier l’autonomie : est vulnérable, la personne qui, non seulement ne parvient pas à mettre en œuvre son autonomie (considérée comme la caractéristique essentielle de l’individu), mais en outre se trouve écrasée par cette obligation symbolique et concrète d’autonomie.

Il y a alors un nouveau paradigme, l’homme capable peut être vulnérable: le vulnérable pourrait être vu comme le normal. Ce renouvellement anthropologique pose la vulnérabilité comme une critique de la conception du sujet autonome : nous ne sommes plus des homos economicus mais des êtres vulnérables, c’est une contestation de l’ontologie de l’autonomie au profit d’une ontologie sociale où l’homme va dépendre d’un « réseau de mains » : l’agent est pris dans un tissu relationnel et est aussi préoccupé par le bien d’autrui.

La société s’inscrit dans un continuum qui va de l’individu autonome à l’individu vulnérable, vice-versa, chacun de nous étant soumis à des phases de vulnérabilité soit de façon nécessaire (le fœtus, le nouveau-né, l’enfant, la personne en fin de vie), soit de façon probabiliste (l’accident, le chômage, la maladie).

C’est ce dont nous fait part Ricœur[1] « l’homme capable et vulnérable » il dit même plus que l’autonomie n’est possible que lorsque l’homme est capable d’être autonome. S’il est capable d’être autonome ça veut dire qu’il a la possibilité d’échouer, il a les capacités d’être autonome, mais ces capacités sont aussi facteurs d’échecs.

Il y a alors 2 positions de société  quant à la vulnérabilité de l’homme:

●      Celle de la générosité, c’est-à-dire la sollicitude pour l’être. Une sollicitude qui, bien que partant d’un bon sentiment, peut fragiliser ou stigmatiser en excluant le vulnérable du normal et en le figeant dans sa condition.

●  Il y a celle du déni de vulnérabilité ou le refus d’accueillir : la vulnérabilité est camouflée par une prétendue préoccupation pour l’amélioration des conditions de vie et on retourne dans une anthropologie capacitaire.

En philosophie, le concept de vulnérabilité a un usage normatif et critique, qui sert à mettre en exergue le libéralisme et ses limites. De fait, ce concept sert souvent à penser ce que serait une société juste, c’est-à-dire une société prenant en compte autonomie et vulnérabilité tout en pensant une anthropologie capacitaire.

Rawls : Théorie de la justice[2]

Chez Rawls, la société juste est une société structurée par 2 principes de justice :

●  Chaque personne doit avoir un droit égal au système le plus étendu de liberté tout en étant compatible avec le système des autres.

●  Les inégalités sociales et économiques doivent être organisées de façon à ce qu’à la fois, elles apportent aux plus désavantagés les meilleures perspectives et qu’elles soient attachées à des fonctions et à des positions ouvertes à tous, conformément à la juste égalité des chances.

Ainsi une société doit garantir des droits et des biens égaux pour que les individus poursuivent leur projet de vie. Toutefois cette théorie rencontre 2 problèmes principaux : 

●      Une position constructiviste où les principes sont déduits d’une conception idéalisée de la personne (notamment en termes de liberté, de rationnel et d’égalité).

●      Un problème de réalité : la société dont parle Rawls est impossible à mettre en place.

Cette théorie sera reprise et critiquée par Amartya Sen, Martha Nussbaum se basera sur ce travail pour établir une nouvelle théorie.

Martha Nussbaum[3]

Martha Nussbaum  à une approche éthique et politique par le prisme des capabilités qui permet de faire le lien entre vulnérabilité et autonomie. S’ouvrir à la vulnérabilité se fait donc à partir de la considération d’une dignité. Marta Nussbaum fait une liste des capabilités, qui apparaissent comme des potentialités pouvant échouer dans leur déploiement ou ne pas vouloir être déployées. Ainsi l’individu est toujours autonome, mais il peut être vulnérable dans le déploiement de ses capabilités. C’est à la société « juste » de garantir une possibilité et une égalité de déploiement des capabilités de l’individu, et d’accueillir la vulnérabilité.

Il y a dans la liste des capabilités centrales auxquelles Nussbaum consacre ses écrits un manque d’analyse des conditions relationnelles et sociales de leur développement ainsi qu’un manque d’analyse des processus sociaux qui les compromettent. Ainsi le problème principal est le manque d’identification des configurations relationnelles, sociales et politiques qui permettrait de favoriser l’acquisition des capabilités. De fait, l’approche de Joan Tronto à travers une éthique du Care est bien plus prometteuse.

Juan Tronto[4]

Pour Tronto, l’homme est fondamentalement vulnérable et cette vulnérabilité vient de la dimension relationnelle et corporelle de l’homme. Ainsi, si nous sommes tous vulnérables, nous sommes tous dépendants du Care d’autrui. Ce Care se définit comme une activité générique qui comprend tout ce que nous faisons pour maintenir, perpétuer et réparer notre monde. Il y a dans ce Care une réelle flexibilité de la relation: notamment une interprétation démocratique des besoins à laquelle les citoyens doivent participer. La vulnérabilité est une dimension ordinaire de la vie humaine. Plus on fait l’objet d’un Care adéquat, moins on est vulnérable et inversement.

Axel Honneth[5]

Enfin pour terminer, je propose que l’on s’intéresse à la perspective d’axel Honneth, où la vulnérabilité dérive de la Constitution relationnelle et sociale de notre identité, elle est le corrélat nécessaire de la dépendance dans laquelle le rapport à soi se trouve à l’égard du rapport à l’autre. Chez Honneth, cette vulnérabilité se traduit en 3 points :

●      L’amour comme lien affectif entre un nombre limité de personnes et qui représente l’acceptation de soi-même comme un être dépendant à travers une relation mutuelle. C’est la forme de reconnaissance première chronologiquement génétiquement (aucun bon rapport à soi ne peut se créer sans amour), de cette forme de reconnaissance dont dépend une vulnérabilité corporelle et affective à travers la dépendance du sujet à l’amour et au risque.

●      Le respect comme produit dépendant de la reconnaissance affective d’autrui point le respect permet de se considérer comme agent autonome, mais dépend entièrement de l’attitude d’autrui et de l’institution sociale il y a ici une vulnérabilité morale fondamentale qui dépend entièrement de l’attitude morale qu’adopte la société et ses membres des avis de l’individu. La vulnérabilité ici a un double risque : celle de ne pas être perçue comme être autonome et morale ; celle d’être privée des conditions nécessaires à l’exercice de son autonomie.

●  L’estime comme reconnaissance du sujet comme agent capable de contribuer à la coopération sociale et à la reproduction matérielle et symbolique. L’estime se base sur des valeurs représentatives que la société se fait d’elle-même. On parle ici, d’estime de soi: le sujet fait sien les évaluations positives que les autres font de ces prestations et capacités.
 2.     La vulnérabilité en anthropologie

a.     Une politique de ciblage difficile

Toute une constellation de termes est apparue pour identifier les différentes situations de vulnérabilités et les porteurs de ces vulnérabilités :

1) D’abord les scientifiques ont conceptualisé des « populations », « groupes », ou « communautés », ensemble « cohérent » en apparence, et qu’on a décrit comme « vulnérables », « fragiles » ou « à risque ». Par exemple des femmes enceintes, des nourrissons et enfants, des personnes âgées ou encore des personnes immunodéprimés. Progressivement, l’expression « groupe à risque » a été remplacée par celle de « groupes spécifiques », puis par celles de « groupes vulnérables » ou « populations clés les plus exposées ».

2) Ensuite, plutôt que de parler de population, les scientifiques ont utilisé l’expression « situations à risque ». Ce n’est plus les humains qui sont porteurs de risque mais les situations dans lesquelles ils se trouvent. Cette définition est plus dynamique, mouvante que « groupe à risque » car toutes les populations ne sont pas équitablement exposées à un même risque.

3) Enfin, d’une rhétorique des situations, nous sommes passés à celle de « comportement à risque », (comme l’addictologie) ou de « facteur de risque » en lien avec l’épidémiologie.

Cela dénote un certain embarras lexical face à la difficulté de définir un groupe particulier en fonction d’un risque, d’un trouble ou d’une vulnérabilité. Si de telles désignations ont le mérite d’avoir une utilité réelle dans le champ du médico-sanitaire, elles peuvent susciter stigmatisation ou phénomène d’échappement. La conséquence du ciblage est de rendre une « population » plus visible. Or la visibilité comporte des risques et peut s’avérer indésirable, surtout lorsque certains comportements renvoient à des activités illicites ou des pratiques marginalisées (exemple du sida). La question est alors légitime de se demander comment identifier les personnes en situation de vulnérabilité, sans produire par le même coût une nouvelle forme de vulnérabilité. Le fait est que connaître ou être reconnu en tant que malade peut être mal vécu ou produire de la souffrance. Par ailleurs, le fait d’identifier une population à partir d’un problème place la personne d’une situation « discréditable » à une situation de « discréditée » (Goffman, Stigmate, 1975). Le risque d’une telle identification est par ailleurs de « créer le groupe des vulnérables et, dès lors, de les priver par avance de toute capacité à agir en leur nom » (Le Blanc, 2019 ; 28).

Martin le résume ainsi : « L’identification et la prise en compte de populations spécifiques dans les politiques de santé semblent à la fois une nécessité et un problème : une nécessité, dans la mesure où il est manifeste que certaines populations sont confrontées à des problèmes de santé beaucoup plus que d’autres […]. Mais c’est aussi un problème dans la mesure où toute politique ciblée de santé peut conduire à figer, labelliser et stigmatiser la population qu’elle considère comme « à risque » précisément, ce qui peut aussi l’éloigner d’une prise en charge. Mais, plus fondamentalement encore, en visant des populations cibles, ces politiques peuvent réduire la compréhension de leur problème de santé à son expression statistique, confondant probabilités et causalité et conduisant à ce que Robert Castel désignait il y a maintenant près de trente ans comme « le passage d’une clinique du sujet à une clinique épidémiologique (Castel, 1983) » (Martin, 2015 ; 94.).

  1. Un changement paradigmatique

“Ces vingt dernières années, la catégorie de vulnérabilité est devenue centrale dans les discours publics et dans les sciences humaines et sociales. Comme l’a souligné Jean-Louis Génard (2009), on peut voir dans la montée en puissance du vocabulaire de la vulnérabilité une « transformation des coordonnées anthropologiques » ou « des grilles interprétatives à partir desquelles se construit la représentation de l’humain » (ibid., p. 28). D’une « anthropologie disjonctive » (p. 29), fondée sur la distinction et l’exclusion mutuelle de l’autonomie et de la dépendance, et solidaire d’un strict partage des êtres, on serait passé à une « anthropologie conjonctive » (p. 29 et p. 33-36), pensant l’homme comme vulnérable, au cœur d’un entre-deux entre autonomie et dépendance, et solidaire de l’idée d’un continuum anthropologique, chacun étant à la fois capable d’autonomie et inscrit dans des relations de dépendance soutenant cette dernière.

Selon Génard, ce passage se manifesterait dans le champ sociologique par une transformation du regard et des méthodes (renouveau du pragmatisme et d’une attention nouvelle portée aux émotions). Cette transformation est également visible dans le champ de la philosophie morale et politique. En effet, un grand nombre de courants philosophiques contemporains (l’approche des capabilités de Sen et Nussbaum, l’éthique du care de Gilligan et Tronto, la théorie de la reconnaissance de Honneth ou encore le poststructuralisme de Butler) recourent à la catégorie de vulnérabilité pour repenser les contours de la subjectivité.

Cette attention portée à la vulnérabilité peut se comprendre comme une manière de prendre ses distances avec la tradition dominante du libéralisme politique (notamment John Rawls). Dans la redéfinition du sujet comme vulnérable, trois éléments du libéralisme politique sont en effet remis en cause. Le premier est la conception libérale du sujet. En insistant unilatéralement sur l’autonomie et la rationalité du sujet, celle-ci rend en effet invisibles des pans entiers de l’expérience humaine et minore les conditions relationnelles et sociales complexes grâce auxquelles les sujets humains peuvent devenir autonomes. En attirant l’attention sur la vulnérabilité, il s’agit de s’écarter du concept d’autonomie afin de lui substituer des concepts plus modestes, comme celui d’agency, permettant de décrire les marges d’action de sujets constitués par les relations interpersonnelles et les rapports sociaux dans lesquels ils sont situés. L’attention portée à la vulnérabilité va en outre de pair avec une redéfinition des finalités de l’action politique : que les sujets soient vulnérables signifie en effet que l’octroi de droits égaux joint à une redistribution équitable de biens premiers ne suffit pas pour assurer à tous les membres d’une société une forme minimale d’autonomie ni la possibilité de participer à la vie sociale et politique sur un pied d’égalité. Parce qu’ils sont vulnérables, les sujets humains ont, par exemple, besoin de reconnaissance et de care, tout autant que de droits égaux. C’est la distinction entre égalité et équité. Enfin, l’usage de la catégorie de vulnérabilité permet de rompre avec le constructivisme normatif qui consiste à dériver des normes de justice d’une situation idéale et abstraite construite a priori par le théoricien.

Ainsi l’anthropologie de la vulnérabilité préfère l’idée d’un continuum à l’intérieur duquel l’individu passe par des périodes de développement et de déclin. Elle conteste l’idée d’autonomie ontologique (nous pourrions devenir des personnes par nous-mêmes) au profit d’une ontologie sociale (la survie et le développement de la personne dépendent d’un réseau social). L’anthropologie de la vulnérabilité remet en cause, d’autre part, l’individualisme psychologique (l’idée selon laquelle chacun ne poursuit que ses propres intérêts) au profit de l’idée d’un agent pris dans un réseau de relations et préoccupé par le bien d’autrui, ou du moins de certains autres.

Partie 2 – La vulnérabilité liée à la santé

Introduction

Nul ne peut contester les progrès engendrés par les développements techniques et scientifiques de la médecine. On guérit maintenant un nombre important de maladies (maladies infectieuses, pathologies cancéreuses par exemple) dont on mourrait encore il y a quelques décennies. On peut vivre de plus en plus longtemps en bonne santé, sans maladie et sans handicap.

En parallèle, et particulièrement depuis les lois de 2002 en France[6], se développe une culture de valorisation et du respect de l’autonomie de décision des personnes malades ou en situation de handicap, ainsi qu’une augmentation de la présence des associations de patients dans les institutions de santé (notamment la création de l’université des patients par Catherine Tourette-Turgis en 2009).

Mais il existe un impensé du progrès, un « angle mort », une zone d’ombre corrélative aux avancées techniques et scientifiques : la genèse de situation de vulnérabilités liées à la santé, parfois engendrées par l’intervention médicale elle-même.

Ce concept de « vulnérabilité liée à la santé » est pensé à la suite des réflexions en philosophie du soin du XXième siècle, (nous nous sommes notamment basé sur la réflexion de Corine Pelluchon[7]). Le concept de vulnérabilité induit un processus : l’idée qu’il peut se passer quelque chose de déstabilisant, d’être dans un entre-deux avec le risque de basculer à tout moment vers une situation complexe.

Deux hypothèses :

●      Il y a une nouvelle forme de vulnérabilité « la vulnérabilité liée à la santé » qui est générée par la santé et/ou par la prise en soin.

●      Cette généalogie médicale de la vulnérabilité induit aussi une responsabilité : certes, la prise en charge a visé en première intention un bénéfice direct, mais elle a suscité aussi, indirectement, des effets secondaires néfastes et/ou des événements indésirables, qui, à l’heure actuelle, échappent à son périmètre d’action.

Dit autrement, la vulnérabilité induite par les progrès médicaux constitue une externalité négative de notre système de santé qu’il faut réinternaliser pour assumer la globalité du concept de santé promu depuis 1948 par l’OMS.

À partir du moment où elle ne peut pas guérir ou effacer les effets indésirables, la médecine ou la société qu’elle représente doivent identifier des manières d’accompagner concrètement ces personnes pour les aider à retrouver des marges d’agentivité et revaloriser nos interdépendances mutuelles.

Ce concept de vulnérabilité va donc de pair avec les concepts

  1. D’autonomie : le rapport Belmont  (1979)[8] place l’autonomie du patient au cœur du processus de santé + est vulnérable, la personne qui, non seulement ne parvient pas à mettre en œuvre son autonomie promulgué par notre société, mais aussi se trouve écrasée par cette obligation symbolique et concrète d’autonomie[9]
  2. De dépendance : Son vulnérable les personnes dont l’indépendance fonctionnelle est niée, que ce soit par la maladie (dans notre cas) où par d’autres causes.

Pourquoi parler de situation de vulnérabilité liée à la santé?

Ainsi, on peut aujourd’hui vivre avec une maladie qui ne guérira pas. C’est le cas des pathologies chroniques, ou chronicisées. Il y a une augmentation de l’espérance de vie avec la maladie, avec son cortège d’inconforts éventuels, parfois de dépendance fonctionnelle. On peut vivre avec les séquelles de la maladie elle-même.

Exemple : 

Le cancer a engendré des métastases et qu’un traitement vient freiner voire arrêter le développement de la maladie. On peut avoir un handicap secondaire suite à une thrombolyse ou à une thrombectomie après un accident vasculaire cérébral.

Sans ces interventions, la personne aurait pu décéder ou aurait un handicap plus important encore. On peut enfin, du fait des possibilités de la médecine, vivre plus longtemps, non pas avec une, mais avec plusieurs maladies synchrones : c’est le cas assez fréquent dans le champ de la gériatrie, où il s’agit de soigner des personnes âgées, polypathologiques et donc souvent polymédiqués avec un fort risque d’iatrogénie[10]  médicamenteuse qui vient souvent aggraver une situation déjà marquée par la fragilité.

Certaines situations de vulnérabilités sont directement liées à l’intervention de la médecine. « On parlera alors de vulnérabilité induite par la médecine » : parfois la technique utilisée dans le but de soigner est iatrogène. Parfois, le prix à payer de l’amélioration de la maladie est l’altération d’une fonction via une intervention médicale et/ou chirurgicale.

Exemples (si besoin) :

Les dix dernières années de la vie se vivent avec des incapacités (INSEE, 2023) que 40 000 personnes survivent chaque année à un AVC (Accident Vasculaire Cérébral) en gardant des séquelles (Inserm, 2017), 4 millions de personnes vivent avec un cancer (Fondation ARC,2022), des milliers de personnes souffrent de séquelles d’un accident traumatiques (Sécurité routière, 2021), 20 millions de personnes vivent avec une pathologie chronique (CNAM, 2019).

Nous pouvons définir trois origines aux situations de vulnérabilité liée à la santé :

  1. La maladie chronicisée,
  2. La pluripathologie, 
  3. L’intervention médicale,

Comment définir cette situation de vulnérabilité liée à la santé

La situation de vulnérabilité peut être liée directement à l’altération de la santé. Elle peut être la conséquence de cette altération au plan physique, social, psychologique et environnemental. En réalité, la situation de vulnérabilité peut être considérée comme la somme de ces composantes qui la constituent et s’entremêlent. Ces modalités peuvent être la cause d’intervention médicale ou être conséquences d’une autre modalité, ainsi, une vulnérabilité psychique peut être causée par une composante plus physique comme la douleur ou la diminution de l’autonomie.

Nous avons décidé de moduler la vulnérabilité en 4 modalités pour permettre son étude :

●      Physique : indépendance fonctionnelle, douleur post-opératoire… Concept de fragilité,

●      Psychologique : Dépression, SPT,

●      Sociale : le concept de précarité, vulnérabilité relationnelle, difficulté de communication, d’être des aidants,

●      Environnementale : inadaptation de l’habitat, solitude.Les conséquences de la vulnérabilité

Dans une situation de vulnérabilité, le malade n’est pas le seul à être impacté, la vulnérabilité s’étend aussi sur les proches et les aidants du patient. Il est courant que des proches aidants interviennent tant dans l’organisation du parcours de la personne (recherche de solution) que dans la réalisation des démarches (administratives, médicales) et dans l’aide au quotidien (course, repas…). La situation de vulnérabilité du malade constitue un risque supplémentaire pour l’entourage du patient, ses aidants, qui sont soumis à la difficulté de s’occuper d’une personne en situation de vulnérabilité.

A cela peut s’ajouter une certaine pression sociale : s’occuper d’une personne malade demande un temps, ce dernier étant de plus en plus prit dans notre société.

Ce risque s’accroît en fonction de la nature de la pathologie et/ou du contexte environnemental et social du malade (solitude, éloignement, difficulté de communication) : un malade vivant dans la solitude, en milieu rural sera un poids supplémentaire pour la famille qui devra faire le déplacement loin de son lieu de vie.

De même, il est nécessaire d’évoquer le trouble du personnel soignant devant des situations de vulnérabilités devant lesquelles il ne peut agir du fait de la non-identification de ces situations et de l’absence de réponses adaptées. Ces situations touchent aussi bien les proches que le personnel soignant, confronté à son incapacité à aider la personne.Ethnographie d’une vulnérabilité – Vivre et souffrir avec un problème de santé

J’ai été amenée à faire un stage de trois mois au sein de l’Institut de prévention des vulnérabilités liées à la santé (IPVS) dans le cadre de mon master. L’institut était alors en cours de structuration. J’avais pour objectif de rencontrer des acteurs intervenant dans le domaine de la santé. Nous avions décidé que je prendrai contact avec des associations d’usagers de la santé, pour trois raisons :

●      Un intérêt stratégique : si l’enquête ne portait pas directement sur des patients ou des personnes malades, cela évitait d’avoir à entreprendre de potentielles démarches réglementaires auprès d’instances régionales et nationales (Comité de Protection des Personnes, CEREES, CNIL, ANSM) comme le prévoit la Loi Jardé concernant les recherches interventionnelles et non-interventionnelles.

●      Un intérêt pratique : une telle démarche permettrait de : saisir le travail d’accompagnement de la vulnérabilité fait par les associations et les aidants ; rencontrer des personnes concernées par une situation de vulnérabilité, recueillir des témoignages ; informer les personnes des projets en cours ; questionner la notion de la vulnérabilité. Cela rendait également possible une réflexion autour du foisonnement d’initiatives faites par les associations – dans la mesure où l’idée d’accompagner la vulnérabilité, les associations le font déjà.

●      Un intérêt scientifique : A travers cet exercice, il s’est agi de : A) observer et comprendre les réalités subjectives de la souffrance (quel qu’elle soit) et des problèmes de santé (maladie chronique, maladie aiguë, pathologie, handicap, etc.), B) recenser les stratégies individuelles et mesures interindividuelles de médiation, d’accompagnement, de soutien, de sensibilisation ainsi que les différentes actions faites et activités proposées, C) nourrir une réflexion plus large autour des vulnérabilités (dimensions, expressions, interrelations), celles liées à la santé et celles engendrées par la médecine, et participer à l’élaboration d’un plan potentiel d’accompagnement des personnes en situation de vulnérabilités.

Idéalement, je devais rencontrer : A) des personnes connaissant l’histoire de l’association, ses objectifs, ses bénéficiaires, ses missions et actions ; B) des personnes pouvant témoigner (directement ou indirectement) d’une situation de vulnérabilité liée à la santé.

J’ai dans un premier temps identifier des répertoires préexistants des associations présentes dans la région Bourgogne Franche-Comté. Nous avons sélectionné une vingtaine d’associations sur une centaine. Nous avons ensuite contacté les associations. Certaines ont refusé une collaboration ; d’autres n’étaient pas disponibles ; ont répondu trop tardivement ou étaient injoignables. Seulement cinq associations ont répondu dans des délais optimaux et étaient disponibles. J’ai pu les rencontrer selon des modalités particulières. On constate en effet de grandes disparités d’entretien (voir tableau). Dans trois situations, nous avons pu organiser un entretien, mais je n’ai pas pu les revoir par la suite car les membres ne répondaient plus à mes mails ou appels téléphoniques. Dans deux situations, j’ai pu entretenir des liens durables avec les membres des associations.La souffrance produite par le regard que l’on porte sur soi

1.1   – Perturbation de l’existence et de la biographie

–    Perturbation de l’existence

Fait totalisant, la souffrance est une expérience aliénante. Il s’agit de comprendre l’aliénation comme un processus qui suppose un changement, une modification du soi. L’aliénation réside dans la redéfinition potentiellement périlleuse du soi, au sens marxien, c’est-à-dire dans le fait de se sentir étranger à soi-même. Ce n’est jamais la personne qui est aliénée, c’est le trouble médical lui-même qui est aliénant. Cette perturbation de l’existence entraine des altérations plus ou moins profondes et durables d’être et d’être au monde. « La maladie peut être l’occasion d’un réexamen parfois cruel de l’orientation qu’a prise sa vie et appeler à une reconsidération profonde de son histoire et du futur qu’il lui reste à écrire » (Lebeer, 2016 ; 7). Le diabète avec la perte du permis, le contrôle de l’alimentation. En raison du statut de personne diabétique, des textes interdisent l’accès à certains métiers aux personnes diabétiques (aéronautique, navigation aérienne, etc.). Il faut éviter également les métiers conduisant à occuper des postes dits de sécurité (travail en hauteur, sur des machines dangereuses, le travail isolé, les postes d’agent de sécurité, les métiers du bâtiment etc.) et les métiers nécessitant une très bonne acuité visuelle (par domaine télévisuel, la mécanique de précision..). La découverte d’une maladie peut faire rupture dans la vie dans la biographie : beaucoup des participants ont décrit une partition de la vie entre un « avant » et un « après » la maladie ou le problème de santé. Les participants parlent souvent d’un « choc » à l’annonce d’un problème de santé. L’expérience d’une vulnérabilité induit « une rupture temporelle, une fracture du temps où s’engouffrent passé, présent et futur » (Lebeer, 2016 ; 7).

–    Altération du rapport au temps

Ce n’est jamais la temporalité réelle qui est modifiée mais la temporalité vécue. Certains nous disent ne plus être ou ne plus avoir été en mesure de vivre le moment présent au moment de l’annonce du problème de santé. Et même en rémission, des participants parlent de la peur de la rechute, peur souvent d’autant plus forte lorsque l’on sait qu’une personne de l’entourage génétique est touchée par cette réalité. La biographie personnelle et familiale en ce sens peut jouer un rôle important. D’un côté le problème de santé n’est pas ou n’est plus, de l’autre il provoque tant d’anxiété et de crainte, qu’il demeure un poids existentiel. Une participante, que j’ai appelé Marie, parle par exemple de la « peur de la rechute » et de l’impossibilité de « profiter de nouveau » suite à un AVC alors qu’elle était âgée de vingt ans à l’époque. De cet épisode, elle garde un « vague souvenir » mais « quasi traumatiques » avec des symptômes comme : paralysie, sensation de bouillonnement dans la tête, état comateux et impossibilité de bouger. Depuis un semestre, cette dernière avait migraine à répétition, tâches dans les yeux, vue qui se brouille, mains engourdies, fourmillements dans le corps. Mais pour cette famille, jamais il n’avait été impensable la survenue d’un tel accident. Par la suite, après le retour à domicile, il avait été question qu’elle serait au repos forcé pendant près de six mois mais sans le moindre suivi médical ; ce sont ses parents et sa sœur qui « ont joué les médecins » de substitution pendant sa convalescence, qu’elle décrit comme épouvantable. Dans cet ordre d’idée, alors que le traitement s’achève ou que la rééducation est assurée, pour de nombreuses personnes, il est difficile de laisser la vie reprendre son cours initial. La période de rémission s’accompagne du sentiment de vivre avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête et une angoisse quotidienne de la rechute ou de la récidive. L’expérience d’un problème de santé nous renvoie une image vulnérable de soi difficilement acceptable. Vais-je retomber malade, mon état va-t-il se dégrader, puis-je recouvrer totalement la santé, voilà autant de questions qui peuvent hanter le quotidien.

–    Recomposition du futur

On constate souvent une plus faible capacité à se projeter activement dans le futur voire une recomposition totale des projets car la maladie peut avoir des impacts durables dans la vie. Pour Marie, la survenue d’un AVC changera totalement ses projets professionnels. Je cite : « Je me sentais déprimée, n’ayant plus gout à rien. J’avais peur aussi de ne pas pouvoir poursuivre mes études. J’ai redoublé, mais l’année d’après je n’ai plus eu envie de retourner en cours, le cœur n’y était plus. Je prenais conscience peu à peu de ce qui m’était arrivé ».

1.2  – Modification de la culture corporelle et de la corporéité

Dans le monde du sensible, le corps constitue un moyen de communication et un instrument de pouvoir avec les Autres, tout comme le langage. Posture, démarche, choix esthétiques, rituels d’habillement, niveau de sophistication, etc., les manières individuelles d’habiller et d’habiter son corps sont pleines de significations qui font sens collectivement. C’est au travers de ce corps que se fait ce récit organisateur du sujet. Vice versa, le changement corporel peut provoquer une modification de l’agir et de l’impression d’être soi.

–    « Changement de culture corporelle » (Marcellinni)

Un changement de situation de santé peut engendrer une transformation radicale des usages et des « techniques du corps » (Marcel Mauss). Dans le cas du handicap, Anne Marcellinni nous parlait de ce passage d’une culture du « debout à celle du fauteuil roulant » (1997 ; 1), quasi traumatique pour l’auteure, dans laquelle le fauteuil roulant devient une extension gênante du corps humain. Cela me rappelle Eli qui est atteint du VIH ou Gabriel qui souffre d’un diabète de type 1. Tous deux doivent transporter du matériel médical avec eux en permanence. Eli doit prendre son traitement antirétroviral tous les jours pour garder une charge virale indétectable et éviter la survenue de résistance du virus. Ce traitement n’est pas sous forme médicamenteuse comme dans la plupart des, il en a développé une forme très particulière de souche du VIH, une des plus dangereuses, ce qui fait qu’il doit le prendre sous forme de seringue. Gabriel porte continuellement, jour et nuit deux dispositifs sur lui en plus du matériel médical d’urgence et de mesure. Ces dispositifs sont : un patch-capteur (permettant de mesurer son taux de glucose interstitiel) et sa pompe à insuline qu’il doit changer tous les quinze jours. Le patch est situé derrière le bras et la pompe au niveau de la cuisse. Toute les deux semaines, il doit alterner la position des deux instruments, entre côté gauche et côté droit du corps, ce qui permet à la peau endommagée par les aiguilles (présentes sur la pompe et le capteur) de mieux cicatriser. La présence de tels instruments réduits ses mouvements. De ce fait, pendant quinze jours, lorsque les dispositifs sont respectivement sur sa cuisse droite et son bras droit, ce dernier ne pourra dormir que sur son côté gauche.

–    « Dérèglement de l’image du corps » (Mead)

La métamorphose corporelle génère une déstructuration de soi. « Elle oblige à une réorganisation sensori-motrice, psychologique et sociale au cours de laquelle les représentations du corps et de soi subissent une véritable révolution » (Marcellinni, 1997 ; 2). Ainsi donc la transformation de la corporalité peut entrainer des dérèglements de « l’image du corps » (Henry Mead) en lien avec les phénomènes de figuration et défiguration du soi. Indéniablement, cette « révolution » n’est pas sans produire de la souffrance pour celui qui la vit.

–    Intériorisation de sentiment de dévalorisation ou d’indignité

On constate parfois un sentiment de dévalorisation de soi ou d’indignité à cause du changement corporel et de l’image de soi. Par exemple, le sentiment d’indignité est souvent constaté chez les sujets âgés. Il est mêlé à la conscience – désolante, intolérable, amer « de ne plus être » et « d’avoir pourtant été ». Ici la personne est à la fois l’émettrice et la réceptrice d’une dévalorisation de soi. Dans cette représentation, l’indignité prend la forme d’une violence faite à soi-même. Le sentiment d’indignité apparait avec la confrontation du soi de maintenant avec le moi d’avant, ou, face aux autres personnes, qui sont autant d’identités stables et inchangées par rapport au Moi qui est en mouvement. Ce sentiment d’indignité peut résulter de l’impression : de ne plus pouvoir par rapport aux autres ; de ne plus être capables comme avant ; de ne plus être « autonome » ; de ne pas être suffisamment « résilient ». La résilience est une notion en ce sens qui impute subtilement aux personnes dites vulnérables la responsabilité de leur vulnérabilité par leur « absence de résilience ». Mais comme on va le voir, ces sentiments de dévalorisation de soi sont souvent en connivence avec la manière dont les autres nous perçoivent et le regard qu’ils nous portent.

2 – La souffrance produite par l’autre

2.1 – L’expérience de la différence

–    Stigmatisation et Étiquetage

Certaines expériences de vulnérabilité se rapportent à une expérience de la différence. Lorsque cette différence est imposée par le regard d’autrui, on parle de stigmatisation. Selon Erving Goffman, un individu stigmatisé « se définit comme n’étant en rien différent d’un quelconque être humain, alors même qu’il se conçoit (et que les autres le définissent) comme quelqu’un à part ». Le stigmate est donc un motif d’évaluation négative de la personne. Dans le cas d’un problème de santé qu’il est possible de voir (maladie, handicap moteur, etc.) ou de constater (handicap cognitif), on a une sur-visibilité du trouble qui va perturber les rituels sociaux. Par exemple, des regards ostentatoires, des remarques blessantes, une attention insistante ou au contraire dissimulée, un évitement, etc. Les réactions sociales sont marquées d’une certaine ambivalence. « La figure du handicap […] : elle fait figure d’étranger, éveille des représentations de monstruosité ; elle est source de projections violentes, d’un sentiment d’inquiétante étrangeté, de contagion et de dégoût. […] » (Garguilo, 2016 ; 137). Mais la plupart du temps, ces représentations sont rendues muettes. David Le Breton nous dit à ce sujet : « le contrat tacite qui préside à la rencontre entre un homme ayant un handicap et un homme « valide » tient dans le fait de s’accorder mutuellement à faire semblant que l’altération organique ou sensorielle ne crée aucune différence, aucun obstacle, même si l’interaction est secrètement obsédée par ce point […] » (Le Breton, 2008 ; 94). Souvent la personne subit une réappropriation collective de son identité. Elle expérience à son insu un étiquetage qui va contribuer à saturer son identité. Le handicap, par exemple, fait l’objet de raccourcis cognitifs fréquents qui nous font dire « un handicapé » plutôt que « une personne handicapée » ou « personne est en situation de handicap ». L’étiquetage est une simplification du monde qui produit un discours basé sur des catégorisations. En Sociologie, au sens figuré, l’étiquetage renvoie à A) l’action d’étiqueter, et B) le résultat de cette action. Il s’agit de décrire et classer les individus suivant des caractéristiques sociales, souvent négatives. 

–    Discrimination liée à la santé

D’après une enquête menée par Gérard Bouvier et Xavier Niel, tous deux rattachés à l’Insee, parmi les jeunes de 10 à 24 ans, 5 % déclarent être touchés par des déficiences et des limitations d’ordre moteur, sensoriel ou cognitif, pouvant les mettre en situation de handicap. 41 % d’entre eux déclarent avoir subi au cours de leur vie une discrimination à cause de leur état de santé ou d’un handicap. C’est huit fois plus que chez les jeunes sans handicap. Les jeunes atteints d’une déficience d’ordre cognitif se plaignent plutôt de mises à l’écart. Les personnes handicapées moteurs dont la scolarité a été perturbée ou interrompue pour des raisons de santé évoquent plus fréquemment des refus de droits et de moqueries ou des insultes. À l’école, les jeunes ayant une déficience auditive ou visuelle déclarent plus souvent subir des injustices ou des refus de droit. Les adultes de 25 à 54 ans sont deux fois plus touchés par le handicap que les jeunes. D’après les chiffres, le handicap ou l’état de santé provoquent des discriminations chez un quart d’entre eux. Les chômeurs atteints d’une déficience sensorielle ou cognitive mentionnent fréquemment des injustices et refus de droits. Dans le cadre du travail, ce sont plutôt les handicapés moteurs qui déclarent avoir subi de telles discriminations. Je repense à Marie qui a été licenciée de son emploi dans l’administration des ventes quelques semaines après avoir avoué à son employeur de son AVC.

–    Risque d’internalisation des réactions négatives

Il peut y avoir aussi internalisation de la réaction négative de l’autre. Mais comment peut-on se soustraire de l’avis d’autrui lorsque l’on nait et évolue constamment et sans le vouloir au sein d’un groupe social ? Le regard que nous portons à nous-même est co-construit par le regard que les autres ont de nous. C’est cela le fondement de notre propre vulnérabilité d’ailleurs pour Honneth ; la vulnérabilité n’est pas pensée comme une vulnérabilité naturelle dérivant des limites internes des sujets humains et de l’existence. Elle résulterait davantage d’une dépendance structurelle de l’identité du sujet à la reconnaissance d’autrui (Honneth, 1992, 2000). La reconnaissance d’autrui étant une « forme de perception et une forme d’approbation s’exprimant dans des attitudes, des gestes et des pratiques sociales » (Garrau, 2013 ; 150).

« […] le repli sur soi, l’enfermement, voire l’auto-exclusion sont des mécanismes révélateurs d’un effort du sujet pour se maintenir sur le plan narcissique devant le regard d’autrui. Nous concluons que le processus de stigmatisation est le fruit d’une coconstruction sur le plan duel, groupal et social. Il ne laisse pas celui qui est porteur du stigma dans une position passive. Les représentations subjectives du handicap interviennent de manière active dans le processus de stigmatisation qui doit être compris non seulement en termes d’attribut mais aussi en termes de relation » (Garguilo, 2016 ; 137).

2.2 – Expérience d’une difficulté ou d’un problème invisible, invisibilisé ou inavéré

–    L’invisibilité d’un problème santé

Dans le cas du handicap, en France, on compte 12 millions de personnes en situation de handicap. Parmi elles, plus de 9 millions ont un handicap invisible. Il peut s’agir d’atteintes liées à une maladie invalidante (sclérose en plaques, fibromyalgie…), d’un trouble sensoriel, psychique, cognitif, mais aussi d’autisme, de crises d’épilepsie, etc. Trop souvent, les handicaps invisibles sont incompris, minimisés, niés : ainsi, nombreuses sont les personnes concernées qui doivent faire face à des situations injustes ou à des remarques déplacées. Parmi ces remarques, on a : « C’est dans ta tête », « Tu pourrais faire un effort » ou encore « Tu te cherches des excuses » qui reviennent de façon régulière. Pourtant, les handicaps invisibles sont réels et souvent lourds de conséquences sur le quotidien. C’est le cas d’un des participants de l’étude, Loïc, qui a eu un AVC quelques années auparavant. Il parle notamment du fait de souffrir d’un « handicap invisible » dont il porte de nombreuses séquelles : des difficultés touchant la mémoire, la concentration, la compréhension, l’élocution et l’idéation. Un entretien qui dure, un environnement bruyant, un échange trop rapide, voilà autant de choses qui peuvent le déstabiliser et lui faire perdre tout repère cognitif. Mais une brève conversation avec lui ne permet pas d’entrevoir cela. A travers cet exemple, on comprend comment la vulnérabilité visible a une fonction sociale dans l’établissement des rituels de communication. Certains penseurs constatent qu’étiqueter un problème de santé peut avoir une utilité.

–    L’invisibilisation du problème de santé

La souffrance peut provenir dans le fait d’être ignorée. Ne pas réagir lorsqu’une personne peine à descendre un trottoir parce qu’on ne sait pas comment aborder la personne ou quelles seront ses réactions. Le « dé-regard » est le fait de détourner le regard face à la souffrance d’autrui. Détourner le regard peut être un acte, par timidité ou peur, nous pouvons éviter le regard d’autrui, fuir le eye contact. Mais au sens figuré, détourner le regard signifie ne pas tenir compte de quelque chose. Cette réaction, loin d’être le simple résultat d’une absence de savoir, résulte d’un apprentissage social et culturel. Ne pas percevoir la souffrance, ne pas y prêter attention, ne pas la reconnaitre, l’affronter, la verbaliser, la comprendre, au point de la rendre inexistante socialement et de produire mutisme pour celui qui porte la souffrance.

Détourner le regard ne signifie pourtant pas toujours mépris ou indifférence ; regarder ailleurs est une façon de ne plus voir quelque chose qui gêne ou qui peut perturber. Le fait est que se soucier de la souffrance d’autrui peut constituer un premier acte de reconnaissance du mal-être. Cette reconnaissance précoce invite à s’engager symboliquement dans notre relation à l’autre. Voilà une manière de se mettre à distance. A mi-chemin entre le déni et le mépris de la souffrance, l’apprentissage du « dé-regard » constitue une véritable anthropologie de l’ignorance. D’un côté, le dé-regard est le fait que le trouble médical est rendu socialement invisible – invisibilisé donc. De l’autre, le trouble médical peut s’avérer effectivement insaisissable, en apparence du moins. 

Partie 3 – Institut des vulnérabilités liées à la santé

En quoi cette dimension de vulnérabilité devrait imposer de repenser le système de soin ?

Le système de soin est performant pour la phase aiguë des maladies ou la période urgente après un accident, mais l’après reste en suspens : ce tournant entre la période autonome et le passage à un état vulnérable et de dépendance est un moment critique. La compétence du patient est remise en cause et son autonomie est altérée par son nouveau statut de patient, de malade.

À partir du moment où elle ne peut pas guérir ou effacer les effets indésirables, la médecine doit identifier des manières d’accompagner concrètement ces personnes pour les aider à retrouver des marges d’agentivité et revaloriser nos interdépendances mutuelles. Il est impératif de ne pas seulement se concentrer sur les vulnérabilités qui paraissent comme les plus clairement établies (vulnérabilités des personnes âgées), mais d’englober la vulnérabilité en tant qu’elle est risque accru de subir un tort.

De fait, nous inscrivons notre réflexion dans :

●      La définition de la santé de l’OMS : « un état de complet bien-être physique, mental et social [qui] ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité »[11]

●      Dans la Charte D’Ottawa qui établit à l’issue de la première Conférence internationale du 17 au 21 novembre 1986 et ratifiée par la France, précise que la promotion de la santé a pour but de « donner aux individus davantage de maîtrise de leur propre santé et davantage de moyens de l’améliorer »[12].Réponse : Développement d’un Institut des vulnérabilités

L’ambition de ce projet est donc d’apporter une réponse à ces situations de vulnérabilités qui, en règle générale, ne sont pas suffisamment identifiées, ni traitées.

Prendre en compte ces vulnérabilités induit donc de développer une clinique interprofessionnelle pour considérer le patient dans sa globalité ; l’élaboration d’un observatoire des vulnérabilités pour connaître le niveau de besoins, et pouvoir mieux quantifier et qualifier les vulnérabilités liées à la santé ; ainsi que d’investir la recherche afin de les moyens de répondre aux besoins des patients et professionnels.

Par ailleurs, cette nouvelle organisation de la clinique et de la recherche ne sera possible que par la mise en place de formations qui regroupent l’ensemble des professionnels intervenant dans les prises en charge, ainsi qu’un pan information afin de faire reconnaître ces situations de vulnérabilités au grand public et de mobiliser les acteurs de la recherche, politique, et médico-sociaux autour de cette question.

Enfin cette nouvelle clinique n’a d’intérêt que si elle est pensée avec les usagers eux-mêmes afin de déterminer au plus près leurs attentes, leurs besoins et leur propre définition de leur vulnérabilité.

Bibliographie

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[1] Ricoeur, Paul, Le Juste, 1995

[2] John Rawls, A Theory of Justice, 1971

[3] Nussbaum Martha. Women and Human Development: The Capabilities Approach. Cambridge, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord : Cambridge University Press, 2000.

[4] Tronto, Joan C., Hervé Maury, Joan C. Préfacier Tronto, et Liane Préfacier Mozère. Un monde vulnérable : pour une politique du care. Paris, France : Éditions la Découverte, 2009.

[5] Honneth, Axel. Disrespect: The Normative Foundations of Critical Theory. Polity, 2007.

———. « Reconnaissance et justice ». Traduit par O Voirol. Le Passant Ordinaire, no 38 (2002).

[6] Loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale et loi nᵒ 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé,

[7] Pelluchon C. La vulnérabilité en fin de vie. Jusqu’à la Mort Accompagner Vie. 2012; n° 111(4):27‑46.

[8] Rapport publié en 1979 par le Département de la Santé, de l’éducation et des services sociaux des États-Unis

[9] Pelluchon, 2012

[10] Trouble ou maladie consécutifs à la prise d’un médicament ou à un traitement médical.

[11] Préambule à la Constitution de l’Organisation mondiale de la Santé, tel qu’adopté par la Conférence internationale sur la Santé, New York, 19-22 juin 1946 ; signé le 22 juillet 1946 par les représentants de 61 États. 1946 (Actes officiels de l’Organisation mondiale de la Santé, n° 2, p. 100) et entré en vigueur le 7 avril 1948.[12] OMS 1986


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